La chanson de Craonne

Pendant la guerre de 14-18, le plateau surplombant le village de Craonne, au Chemin des Dames, est le théâtre de terribles combats à partir du 16 avril 1917 (offensive Nivelle). Des soldats d’infanterie se mutinent, certains sont fusillés pour l’exemple… L’auteur du texte, dont la tête est mise à prix, restera anonyme. Les paroles seront recueillies par Paul Vaillant-Couturier et la chanson, sur l’air de « Bonsoir, M’amour » (musique Charles Sablon, 1911), restera interdite en France jusqu’en 1974.

Quand au bout de huit jours le r’pos terminé
On va reprendre les tranchées
Notre place est si utile
Que sans nous on prend la pile
Mais c’est bien fini on en a assez
Personne ne veut plus marcher
Et le cœur bien gros comm’ dans un sanglot
On dit adieu aux civ’lots
Même sans tambours, même sans trompette
On s’en va là-haut, en baissant la tête.

Adieu la vie, adieu l’amour
Adieu toutes les femmes
C’est bien fini, c’est pour toujours
De cette guerre infâme
C’est à Craonne, sur le plateau
Qu’on doit laisser sa peau,
Car nous sommes tous condamnés
Nous sommes les sacrifiés.

Huit jours de tranchées, huit jours de souffrance,
Pourtant on a l’espérance
Que ce soir viendra la r’lève
Que nous attendons sans trêve
Soudain dans la nuit et dans le silence
On voit quelqu’un qui s’avance
C’est un officier de chasseurs à pied
Qui vient pour nous remplacer,
Doucement dans l’ombre sous la pluie qui tombe
Les petits chasseurs vont chercher leurs tombes.

Adieu la vie, adieu l’amour
Adieu toutes les femmes
C’est bien fini, c’est pour toujours
De cette guerre infâme
C’est à Craonne, sur le plateau
Qu’on doit laisser sa peau,
Car nous sommes tous condamnés
Nous sommes les sacrifiés.

C’est malheureux d’voir sur les grands boul’vards
Tous ces gros qui font la foire.
Si pour eux la vie est rose
Pour nous, c’est pas la même chose
Au lieu d’se cacher tous ces embusqués
F’raient mieux d’monter aux tranchées
Pour défendre leurs biens, car nous n’avons rien
Nous autr’ les pauv’ purotins
Tous les camarades sont enterrés là.
Pour défend’ les biens de ces messieurs là.

Ceux qu’ont le pognon, ceux-là r’viendront
Car c’est pour eux qu’on crève
Mais c’est fini, car les trouffions
Vont tous se mettr’ en grève
Ce s’ra votre tour messieurs les gros
D’monter sur le plateau :
Car si vous voulez faire la guerre
Payez-là d’votre peau.