Les mangeux d’terre

Paroles : Gaston Couté (1905). Né en Beauce en 1880, ce fils de paysan commence à réciter ses textes à Paris en 1898 à l’encontre des vœux de ses parents qui l’auraient vu dans l’administration des finances de la Nation. Dans ses poèmes il fustige les bourgeois, son époque et l’égoïsme de ses contemporains : « Il allait chantant les gueux des villes et des champs, dans son jargon savoureux, avec son inimitable accent du terroir. Il flagellait les tartuferies, magnifiait les misères, pleurait sur les réprouvés et sonnait le tocsin des révoltes. » Sa carrière sera courte : il mourra en 1911, laissant derrière lui des textes mémorables et régulièrement interprétés, notamment par Gérard Pierron, Marc Robine, Édith Piaf, Monique Morelli, Bernard Lavilliers, La Tordue, Loïc Lantoine, Gabriel Yacoub…

Je r’passe tous les ans quasiment dans les mêmes parages
Et tous les ans, j’trouve du changement de d’ssus mon passage
À tous les coups, c’est pas l’même chien qui gueule à mes chausses
Et pis voyons, si je m’souviens, voyons dans c’coin d’Beauce

Y avait dans l’temps un bieau grand chemin
Chemineau, chemineau, chemine !
A c’t’heure n’est pas pus grand qu’ma main
Par où donc que j’cheminerai d’main ?

En Beauce, vous les connaissez pas, pour que ren n’se parde,
Mangerint on n’sait quoué ces gars-là, y mangerint d’la marde !
Le ch’min, c’était, à leur jugé, d’la bonne terre pardue
À chaque labour y l’ont mangé d’un sillon d’charrue

Y avait dans l’temps un bieau grand chemin
Chemineau, chemineau, chemine !
A c’t’heure n’est pas pus grand qu’ma main
Par où donc que j’cheminerai d’main ?

Z’ont groussi leurs arpents goulus d’un peu d’glébe toute neuve
Mais l’pauv’ chemin en est d’venu mince comme eune couleuv’
Et moué qu’avais qu’li sous les cieux pour poser guibolle !
L’chemin à tout l’monde, nom de Guieu ! C’est mon bien qu’on m’vole !

Y avait dans l’temps un bieau grand chemin
Chemineau, chemineau, chemine !
A c’t’heure n’est pas pus grand qu’ma main
Par où donc que j’cheminerai d’main ?

Z’ont semé du blé su l’terrain qu’y r’tirent à ma route
Mais si j’leur en d’mande un bout d’pain, y m’envoyent fair’ foute !
Et c’est p’t-êt’ ben pour ça que j’voués, à m’sure que c’blé monte,
Les épis baisser l’nez d’vant moué comme s’i’s avaient honte !

Y avait dans l’temps un bieau grand chemin
Chemineau, chemineau, chemine !
A c’t’heure n’est pas pus grand qu’ma main
Par où donc que j’cheminerai d’main ?

Ô mon bieau p’tit chemin gris et blanc su’ l’dos d’qui que j’passe !
J’veux pus qu’on t’serre comme ça les flancs, car moué j’veux d’l’espace !
Ousque mes allumettes a sont ? dans l’fond d’ma pann’tière
Et j’f’rai ben r’culer vos mouessons Ah ! les mangeux d’terre !

Y avait dans l’temps un bieau grand chemin
Chemineau, chemineau, chemine !
A c’t’heure n’est pas pus grand qu’ma main
Par où donc que j’cheminerai d’main ?

Y avait dans l’temps un bieau grand chemin,
Chemineau, chemineau, chemine !
A c’t’heure n’est pas pus grand qu’ma main
J’pourrais bien l’élargir, demain !